Pêcher le brochet à la mouche

par Guido Vinck

 
Un brochet irlandais au streamer, dans les bras de l'auteur.
128 cm / 14,5 kg. (photo: Guido Vinck)

A partir de la mi-septembre, lorsque l’été se laisse petit à petit déborder par l’automne, pour ensuite laisser la place à l’hiver, les salmonidés se lancent dans leur noces annuelles. Et pour la plupart des moucheurs, c’est le moment de tourner l’interrupteur " pêche à la mouche " sur " Inactif ". Cela ne signifie évidemment pas que le sang de la mouche ne continue pas de bouillonner, mais un bon livre de pêche, une soirée club ou, pour les doigts en plume, le montage des mouches, semblent être les seules alternatives où trouver un refuge pendant l’hiver...

Il y a environ 25 ans, par une fraîche matinée de novembre, quelques irréductibles créatifs se perdirent pourtant sur un polder, dans le but avoué de vivre quelques aventures halieutiques. Lors de cette mémorable matinée de novembre, la pêche du brochet à la mouche était née. Cela mérite bien que l’on s’y attarde, car à la fin des années ‘60, quasi personne n’avait jamais pointé une canne à mouche en direction d’un brochet. C’était également le temps des balbutiements, de la recherche du matériel adéquat, des mouches performantes,...

 Un sport hors normes

 De temps à autre, un brochet sort de son maquis pour agresser une grenouille ou un caneton. En fait, tout ce qui bouge attire son attention. Pour le brochet, manger est une question de survie. Les pêcheurs aux leurres savent bien qu’il est tout à fait concevable de tenter les carnassiers avec des appâts artificiels. Donc pourquoi les moucheurs hésiteraient-ils à allécher un beau brochet avec une grosse mouche artificielle, qui sous l’eau ressemble, comme deux gouttes d’eau, à sa bouchée favorite. Ma fois oui, attraper maître grandgousier avec une mouche semblait possible. En outre, les Pays-Bas (et c’est à peine à une heure de route), grâce à ses bras de polders incroyablement limpides, détiennent toujours les zones de pêche les plus adaptées au monde pour la traque d’un brochet avec une touffe de poil. Beaucoup de moucheurs froncent les sourcils lorsque l’on parle de brochet pêché avec un streamer. Le fait est qu’il s’agit d’une expérience unique et que cela apporte une toute nouvelle dimension à la pêche sportive en général.

 Passion du brochet et polders mythiques

 La pêche en hiver est une occupation auxquels bien peu de moucheurs sont préparés. Et vous voilà soudain perdu dans le plat et buccolique pays des polders. C’est un temps à ne pas mettre un moucheur dehors, avec la pluie battante traditionnelle.


Mon grand ami Albert Drachkovitch en pleine exercice
avec un brochet de polders. (photo: Guido Vinck)

A vos pieds gît une wateringue longue d’un kilomètre. Eole envoie violemment des vaguelettes moutonneuses frapper les joncs courbés par son souffle. Une atmosphère grise d’arrière-saison. Un polder légendaire en automne, comme une offrande à l’hiver. Mais sous la surfaces des eaux battue par les vents, le combat pour la vie et la mort fait rage.

Le poisson fourrage cherche un un refuge sûr à l’écart du brochet. Lui-même les chasse avec acharnement.. Car après l’hiver, en mars-avril, il devra également veiller à sa descendance...

 Sens de l’eau

 Vite, une dernière tasse de café bien fumant, les cannes rapidement montées, et nous voilà bientôt sur le coup. Zoufff, le premier streamer frémit dans l’air, fuse au raz de la surface, puis fend le miroir de l’eau.

D'abord, il faut le laisser couler et s’imbiber d’eau. Le streamer exécute maintenant la " danse de la tarentule ". Un nouveau jets, les retraits, et ainsi de suite. Rien ne se passe ! Pas d’attaque, même pas une petite tirée. Et pourtant il y a du brochet. Notre sens de l’eau ne nous abandonne pourtant pas. Tout à coup, à une dizaine de mètres, un éventail de petits poissonnets, tentant d’échapper à la danse mortelle d’un brochet, gicle en surface. Les mâchoires se figent, le coeur tambourine sauvagement dans votre gorge et les nerfs se tendent. C’en est terminé du froid, du vent, de la pluie. C’est le moment, c’est l’instant. Vous placez rapidement le streamer quelques mètres plus loin que l’endroit si prometteur. Ensuite le laisser s’enfoncer en profondeur, puis ensuite lentement récupérer la soie...

 " Un choc, un remous, le brochet a engamé "

 ... La mouche à brochet parcoure encore quelques mètres, puis une courte mais lourde gifle se produit sur la soie. Un choc, un remous, le brochet a engamé! En une fraction de secondes, il réalise qu’il est tombé dans le piège, et lutte pour sa vie en sondant vers le pool plus profond, non loin de la roselière. La canne plie dangereusement, ses fibres hurlent sous les coups de boutoir du brochet en plein effort. Pendant dix, douze mètres, il nage, secouant la tête dans l’espoir d’éjecter cet hameçon emplumé, mais sans y parvenir. Alors il décide de monter en surface. Il saute hors de l’eau comme un dauphin, et dans un éclair, vous pouvez enfin l’apercevoir. Finalement il baisse pavillon et relâche sa résistance. Privé de ses forces, notre courageux adversaire comprend que toute lutte est désormais inutile.


Votre brigand et vous, les yeux dans les yeux.
(photo: Guido Vinck)

 " Il ne sait pas que la vie est pourtant au bout de son combat "

 Prudemment, vous le saisissez derrière les ouïes et, d’un mouvement fluide, vous le soulevez hors de l’eau. Le streamer toujours pincé dans le bec vous le mesurez, vous le déposez délicatement dans l’herbe, vous le décrochez puis sans attendre et en douceur, vous le rendez à son élément naturel. D’une courte détente, il disparaît dans les profondeurs.
Pêche à la mouche de haut niveau, et cela en plein coeur de l’hiver.

 

Essayez, tout simplement

 Si vous n’avez jamais essayé, il vous est probablement impossible de concevoir les sensations que réservent la pêche à la mouche au brochet. Mais vous risquez de passer à côté de quelque chose si vous n’essayez pas au moins une fois. C’est valable pour les pêcheurs sportifs, mais c’est incontournable pour les moucheurs. Ce que vous risquez d’y gagner: Une expérience fascinante, les émotions et les aventures de la chasse et une fantastique alternative à l’hiver pour un sport estival par excellence. Le seul danger que vous prendrez, c’est d'en être définitivement mordu. Ce risque vaut la peine d’être couru. Laissez vous mettre au défi et pendant quelques jours, essayez cette technique dans les polders. Une pêche en or comme je viens d’en décrire, vous en vivrez certainement vous aussi. C'est sans aucun doute une occupation hivernale que je vous recommande chaudement.

Matériel

Canne: 10 pieds pour une soie AFTMA 7-8

Soie: WF-7/8 Flottante (Si il y a peu de vent), ou intermédiaire (s’il y un gros vent transversal)

Bas-de-ligne: Monté selon le type " Rafale ". 90 cm en 60 centièmes, 50 cm en 50 centièmes, 35 cm en 40 centièmes, ensuite un petit émerillon, suivi de 40 cm de fil d’acier (Force 7 de Drennan) terminé par un système de d'attache pour streamer de chez mustad.

Moulinet: Un bon moulinet bien solide, avec la contenance d’une soie et de 50 m de backing.

Mouches: Streamers de forte taille, colorés (jaune, blanc, orange, chartreuse), abondamment fourni en tinsels ou autres flashabou. Montés en style Matuka, sur un hameçon 6/0


Plusieurs sortes de streamers à brochet, parfaitement adaptés
aux polders. (photo: Guido Vinck)